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Pourquoi rurales ?
Roland Fichet. La comédie rurale pour moi est très liée aux contes,
aux histoires. Intimement liée sans doute aux histoires que raconte mon
père, à sa façon de saisir les voix, les corps des gens de son village,
de les dessiner d’un trait. Un corps, une voix et un petit drame. Une
petite histoire qui se noue. Qui, racontée par mon père, prend toujours
une couleur très précise, très physique. On figure vivement le
personnage, on figure le ton. Dans l’expression rurale, il y a une
pluralité de sons et de coupes, une façon de découper le texte, de le
mettre en péril, de rester en hésitation dessus, de le répéter à
l’infini, qui fait plus naturellement comédie que dans le langage
urbain.
La langue des banlieues c’est pareil. Le verlan mobilise l’attention.
On est aux aguets parce que c’est pas si facile à comprendre… C’est
opaque et pourtant ça marche c’est ça qui est étonnant.
Roland Fichet. La langue rurale aussi est parfois opaque. Il y a
pour moi quelque chose qui fait comédie dans le rapport au rural et dans
la langue rurale. Dire comédie rurale c’est une façon de souligner une
passerelle entre le comique et le rural, une passerelle assez naturelle,
assez ancienne. Le monde rural est en pleine tragédie. Les situations
comiques germent sur cette tragédie, sur cette destruction programmée.
Il y a un rapport particulier du laissé-pour-compte à la comédie, un
rapport qui me fait vibrer, que je connais. Les ruraux sont tombés à
côté de l’Histoire et ça fait comédie pour moi.
C’est quand même une curieuse notion « comédie rurale ».
Roland Fichet. C’est une notion délicate, subtile, complexe, qui
oblige à une certaine attitude syntaxique, choix des mots, etc. Pour moi
c’est là que ça parle de comédie. Pas dans la distinction classique
entre tragédie et comédie (la tragédie finit mal, la comédie finit
bien). Pour moi chaque phrase fait comédie. Dans chaque phrase l’homme
se joue à lui-même sa comédie. J’ai envie d’explorer cette façon de se
mettre en situation de comédie pour l’être humain, dans le dialogue,
etc. Cette façon d’organiser la comédie des rapports, la comédie des
commerces. J’ai d’abord un souci de justesse du geste littéraire.
Justesse d’un certain rythme, d’un certain souffle, d’un certain style,
d’un certain type d’écriture. Je cherche à reconstituer, à modeler et
moduler l’énigmatique et le comique des parlers ruraux, de ce qu’il en
reste dans la langue de tous les jours. Il y a du dialecte partout et
particulièrement dans les parlers populaires de ce pays, à la ville
comme à la campagne. Avec tout ça, je fais de la langue, j’espère en
tous cas faire de la langue.