(Avant-propos de Roland Fichet, paru dans Micropièces, éditions Théâtrales, 2006)

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Que ça

Des corps fragiles que ça. À Brazzaville, début août 2006, sur la scène du Théâtre Sony Labou Tansi, trois jeunes danseurs interprètent En trop. Dans ce texte, 111 millions de jeunes Chinois expriment leur désarroi : les femmes qui leur étaient destinées ont été tuées à la naissance. Émotion. Les hommes qui dansent cette courte partition de mots me font monter les larmes aux yeux. Des corps fragiles je me dis, voilà ce que c’est, ce que sont ces textes. Trois mois plus tôt, à Garoua et Maroua, au nord du Cameroun, les acteurs Wakeu Fogaing et Samuel Tchuentche de la compagnie Feugham donnent eux aussi corps à ces 111 millions de Chinois. J’ai vu et entendu des interprétations de En trop dans des cours, des jardins, des salles municipales, des théâtres, en France et ailleurs. Une petite histoire adressée à l’auditeur, au spectateur, écrite dans un souffle, dans un rythme. Pour le théâtre. Que ça. Les quarante-neuf textes qui composent ce livre ce n’est que ça.


Comment ça que ça ?

Une écriture nomade que ça. Pas mal de ces petits corps de mots ont fait couple avec d’autres corps, humains ceux-là, sur des scènes de fortune dans des villes de sable et de passage, Agadez, Zinder… Un hasard ? Un clin d’œil de la vie ? J’ai glané au fil des jours de petits faits flottants, quelques mots, une information, un trait, un visage, un personnage ; c’est de cette matière friable que sont pétries ces figures qui sont aussi de style. Des fantômes, de pauvres hères, des silhouettes aperçues par la fenêtre, saisies au vol. Que ça.


Que ça de vrai ?

« Je ne dis jamais ça mais… Écrire ces textes furtifs m’ouvre. À quoi ? Aux voix. À des voix. Que j’entends. Certains textes sont générés par une voix, d’autres par plusieurs, quelquefois ça parle du dedans du texte, quelquefois du dehors. Je prends les mots comme ils se donnent et je les ordonne. Jouer avec le malin génie de la langue tapi dans les mots, les phrases, la syntaxe, les flux, les trous, les temps, les lignes de son, les lignes de sens, c’est mon boulot, je crois. Boulot d’artisan.
Instable ce jeu de textes ? Très. Je le sais instable. C’est sa nature, sa structure […] Ces textes pour vivre appellent le mouvement. Ça bouge au gré des pays, des lieux, des durées. Ça bouge au gré du désir de théâtre qui se fraie un chemin dans ces paysages. Nomade, je vous dis. Conscient de sa fragilité, le nomade marche ouvert aux dons de la nature.
Ça tient comment ? Si ça tiens c’est par miracle. Je ne vois que ça. »