Depuis plusieurs décennies, je trace des lignes. J’avance dans la forêt, je marche, je marche, je marche, je foule le sol ; je me glisse sous les branches des arbres, je contourne les taillis armé d’un faucillon, je défriche. Je trace des lignes dans la forêt ; elles sinuent, se croisent, s’interrompent brusquement. Tiens, cette ligne est interrompue ! Le traceur de lignes a buté sur un obstacle, n’a pas pu franchir une frontière ? Pas assez d’élan ? Pas assez d’intuition ? de préparation ? de savoir ? de ruse ? d’énergie intime ? Le traceur de ligne s’est déplacé, a ouvert mot à mot une autre ligne, tenté de rejoindre un endroit où il s’était immobilisé il y a quelques mois ou quelques années. Son mouvement est-il visible ? Peut-on le repérer ? Forêts de mots, de phrases, de signes ?

Ma forêt n’est pas simplement métaphorique. Elle est aussi réelle. Né à quelques kilomètres de la forêt de Brocéliande, il m’arrivait, enfant, de tenter d’atteindre le val sans retour ou le Hêtre de Pontus. Au-delà du village de Folle Pensée, porte de la forêt, nous parvenions - toujours quelques compères m’accompagnaient – à un embranchement qui avait pour nom : les six lignes. Une étoile à six branches. Vertige ! Laquelle de ces lignes, lequel de ces chemins herbus, débouche sur le secret entrevu, l’endroit légendaire désiré ?

Depuis quelques mois, perplexe devant le lacis des lignes devant l’enchevêtrement des textes écrit au fil des décennies je tente de délimiter des zones.

Zone 1 : les pièces longues.
Zone 2 : les pièces courtes.
Zone 3 : les micropièces.

Les pièces, dociles, rejoignent sans trop de contestation leur zone. Mais les récits, les contes, les poèmes, les chansons réclament une zone propre. Depuis des années, mon identité publique d’auteur dramatique les a contraint de se reconnaître dans une sorte de catégorie douteuse : récits pour le théâtre. Ou plus vague encore : textes pour le théâtre. Ils protestent. Une autre bande de textes erre à la recherche de sa zone et ne la trouve pas : la série des textes écrits pour Anatomies 2008 et 2009 et dans les marges de ces Anatomies. Pour l’instant, je calme cette bande baroque (proteiforme ?) en la canalisant sous le terme de FABRIQUE.

Voilà, vous êtes chers textes non encore calibrés, estampillés dans la fabrique Anatomies.
Vous êtes les matériaux de ce work in progress.

La fabrique c’est le lieu où ça travaille encore, le lieu où ça me travaille encore.