Couverture du livre « L'intérieur de la nuit » de Léonora Miano - Plon  Couverture du livre « L'intérieur de la nuit » de Léonora Miano - Pocket         Résumé de la pièceRésumé de « L’intérieur de la nuit »

« L’intérieur de la nuit » est le premier volet d’une trilogie que Léonora Miano intitule « Suite Africaine » dans ses documents de travail.

L’histoire se déroule dans un village quelconque d’Afrique équatoriale. La population y vit repliée sur ses usages ancestraux, jusqu’à ce qu’une milice la prenne en otage sur ses propres terres. Pendant plus de deux semaines, personne ne peut quitter le village. Une nuit, la milice vient voir les habitants, afin de leur faire connaître ses mobiles et ses attentes.


Le jury du prix Louis Guilloux dont je fais partie a choisi cette année de distinguer le premier roman de Léonora Miano : L’intérieur de la nuit. J’ai proposé ce livre au jury et il a finalement remporté le prix. Il y avait d’autres bons romans sur la table et le débat a été vif, houleux même. La remise du prix a eu lieu le 9 juin à La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc.

Soirée exceptionnelle à plus d’un titre : la présence de Léonora Miano et son évanouissement devant le public sur la petite scène ; la lecture toute une bonne partie de la nuit de passages des romans des 22 lauréats du prix Louis Guilloux. (Annie Lucas a préparé ces lectures avec quatre comédiennes : Monique Lucas, Jeanne François, Michèle Kerhoas, Vanda Benès. Elles lisaient toutes les cinq. Jusqu’au bout il y a eu du monde.) À chaque remise de prix un membre du jury fait un petit speech sur le roman honoré. Voici le texte du propos que j’ai adressé à Léonora Miano et au public présent (après avoir lu un passage du livre : page 115 et pages 116-117) :

Vendredi 9 juin 2006

Salut à vous, Léonora Miano,
Salut à tous,
Salut à Louis Guilloux dont le fantôme rôde dans ce théâtre, puisqu’on y prononce son nom à longueur d’année.

Tu as lu L’intérieur de la nuit de Léonora Miano ?
L’intérieur de quoi de qui ?
De la nuit de Léonora Miano.
Léo qui ? La nuit de qui ?

Un roman qui vous secoue on en parle, on en parle à tout le monde, on ne peut se retenir d’en parler ; on appelle ses amis poètes et artistes, surtout africains, surtout camerounais ; les portables sonnent à Douala, Yaoundé, Bafousam, Baham…
Tu as lu L’intérieur de la nuit de Léonora Miano ?
C’est une africaine ?
Non, c’est un écrivain. Une romancière.
Jamais entendu parler. Tu dois confondre avec Calixthe Beyala.

Va falloir vous accrocher les gars – et les filles – (et Calixthe Beyala !) parce que cet écrivain-là, une femme, noire, n’a pas froid aux yeux. Elle tranche dans le vif. Et dans son cas ce n’est pas une métaphore. Elle est sur la piste des liens archaïques qui, au cœur même de la littérature, mettent en tension l’individu et la communauté, l’individu et le politique, le physique et le métaphysique, le corps et la mort. Cette femme, cet écrivain, dresse devant vous une nouvelle Antigone, noire et blanche, séparée de tous, flottant dans la déréliction.

Léonora Miano a le goût des phrases nettes, de l’architecture romanesque, et l’audace de nommer. De nommer ce qui fait peur. De nommer sans emphase. Elle trame avec art dans la matière sensible de son roman des motifs aussi délicats que le monde dit moderne, la France coloniale, l’Afrique mythique, la guerre ethnique, la fuite des hommes, la drogue, le masque et le visage.

De fil en fil, de tresse en tresse, le lecteur en arrive au geste qui noue ce roman, mais aussi qui le fend, qui ouvre une fissure infinie en vous : le sacrifice d’un enfant, la dévoration d’un enfant par son propre clan, dans un village, entre collines et forêt, à l’intérieur de l’Afrique, à l’intérieur de chacun d’entre nous.
Sacrifice. Écoutez ce mot. Ça crie fils.

Dans L’intérieur de la nuit de Léonora Miano le fils découpé au couteau, mutilé, tué, crie. Et à travers lui crie l’humanité, toute l’humanité. Ça crie fils. Oh fils comme tu cries. Un cri inouï. La verticalité de ce roman, son point de contact avec le sublime c’est ce cri de l’enfant Eyia. Ce cri traverse la nuit, vient se loger dans le corps de Ayané, la jeune femme étrangère-chez elle et ressort, animal, politique, métaphysique, dans les toutes dernières lignes du livre.
« Alors, elle étreignit la jeune femme et, comme elle, cria de toutes ses forces. »

Ces quelques mots, Léonora Miano, je vous les offre en remerciement de ce que votre livre m’a donné.
Je vous les adresse en tant que membre du jury du prix Louis Guilloux, mais aussi en tant que camerounais. Camerounais je le suis puisque je vous lis, je le suis aussi depuis que le roi de Baham, Pouokam Max II, m’a doté d’un nom magnifique dont régulièrement je me souviens et qui me fait du bien.

Une bonne partie de l’été je travaillerai au Congo. Grâce à vous, alerté par vous, je serai encore davantage aux aguets, attentif à ce qui frémit à l’intérieur de ces mondes, attentif à l’invisible dans le visible.

Merci.