Dans un café au coin de la place des Carmes. Rendez-vous avec Gianni Grégory Fornet. Il m’a téléphoné en juin pour me demander une pièce. Il sent quelque chose dans ce que j’écris qu’il veut mettre en scène. Il emploie un mot que je retiens : le sublime. Discussion dans ce café. À côté de nous : Paola Comis, Adeline Massot. Avec Adeline, nous évoquons Alain Massot, son mari, militant du théâtre et militant politique d’une rare sensibilité, solide ami, compagnon d’aventures théâtrales (Les Naissances 98 à Nîmes). Alain est mort brutalement il y a quatre ans.

Pendant que nous conversons des gens du milieu (théâtral) passent devant nous. Ils se rendent à la première de After/Before, le spectacle de Pascal Rambert. J’interroge Gianni. Qu’est-ce qu’il entend par « sublime » ? Ou voit-il du sublime dans ce que j’écris ? Il me parle du sublime et de la présence. Il me parle de ce qu’on voit et de ce qu’on sent, de la différence entre perception et sensation. Il insiste sur ce qui dépasse, transcende toute explication ; sur ce qu’on voit et ce que produit comme énergie invisible, secrète, cela qui est vu. Il me cite une phrase de J.F. Lyotard. Me revient une petite « révélation » qui m’a été offerte. Je lui raconte l’histoire, une histoire qui remonte à l’été 1975, l’année de la sécheresse.

J’écrivais (avec d’autres) et je mettais en scène Histoires de gens sans importance, à Saint-Norgant, en plein pays breton. Entre rivière et rochers. Première tentative de représentation des rompus-par-la-vie. Je souffrais de maux de dos. Gilbert Bourdin, le plus « voyant » de nous tous, m’emmène dans sa vieille guimbarde sans vitres chez un guérisseur qu’il connaît de réputation : Guillaume Riou de Landevaeron. Le guérisseur-ouvrier agricole arrive sur sa mobylette brinqueballante, nous introduit dans un gourbi en terre battue dans lequel sont remisés divers outils, la mobylette elle-même et un grabat pour les interventions du tradi-praticien (comme dirait Kouam Tawa). Il m’allonge sur le grabat et pendant qu’il me masse le dos me parle de la force magnétique que peut dégager un objet, une oeuvre : « Pendant la guerre, dit-il, j’étais soldat ; j’en ai vu du pays. Un jour, je me suis retrouvé dans une maison que nous avons visitée de fond en comble. Dans le grenier, une force m’a attiré. Je me suis approché. J’ai écarté tout un tas de choses et j’ai fini par mettre la main sur un tableau. Un tableau ancien. Ce tableau était le foyer de la force qui m’attirait, qui m’appelait. Ce tableau c’était un Rembrandt. Un tableau peint par Rembrandt. Il a été authentifié par la suite. »
Je frémis sous les mains puissantes du guérisseur-paysan. Je suis rentré avec Gigi à Saint-Norgant, je n’avais plus mal au dos. Guéri par qui ? Par Guillaume Riou ou par Rembrandt ?

Gianni et moi prenons rendez-vous pour le lendemain place des Corps Saints. Régine Chopinot, associée au projet de Gianni, viendra aussi.