Jour particulier pour moi. Pour les Irlandais et les fans d’Ulysse : Bloom’s day. Réjouissant qu’un personnage — Léopold Bloom — devienne le héros d’une fête populaire, une des figures-phare de la ville de Dublin. Beau retournement. À la sortie du livre de James Joyce, en 1922, personne ne pouvait imaginer un tel destin à ce personnage-phénomène, juif d’origine hongroise, converti au protestantisme puis au catholicisme, franc-maçon, libre penseur. Léopold Bloom dans Ulysse endosse toute une série de noms : Polly, Henry Fleury, sir Léo… Cet Ulysse dérisoire du 16 juin 1904 est l’époux d’une ébouriffante Pénélope, Marion Bloom ou Molly Bloom.

École d’architecture. Avec un groupe d’étudiants de l’école d’architecture de Bretagne nous nous sommes plongés dans l’immense monologue intérieur de quarante mille mots qui constitue la toute dernière partie de l’Ulysse de Joyce. Ce monologue intérieur, figure littéraire radicale et désormais historique, a scandalisé, excité, déclenché fureur et admiration. Le monologue de Mooly Bloom… À quoi pense une femme dans la force de l’âge et dans son lit réveillée en pleine nuit par le retour de son Bloom de mari ? Audace de Joyce quand il se loge dans le corps horizontal de Mooly Bloom, il choisit une place physique, étroite, circonscrite. De là peuvent sortir ces mots.

J’ai proposé aux étudiants de l’école d’architecture de Rennes une douzaine de fragments de cette coulée de langue — si tonique ! — comme embrayeurs d’écriture, matière première, corps textuel à disséquer, déconstruire… De cette confrontation nourrie d’autres travaux sont sortis des textes, un imposant paquet de textes, dont certains ont belle allure.

On qualifie quelquefois l’Ulysse de Joyce écrit de 1914 à 1922 de roman expérimental. Expérimenter c’est le plaisir même d’écrire non ?

Fragment du monologue de Mooly Bloom p 951 et 952. « O la la voyons oui ça y est elles sont là oui maintenant quelle plaie c’est sûr à me bourrer me trifouiller me labourer c’est sa faute qu’est-ce que je vais faire vendredi samedi dimanche il y a vraiment de quoi se flinguer à moins qu’il aime ça il y a des hommes qui aiment ça il faut avouer qu’il y a toujours quelque chose qui cloche avec nous 5 jours toutes les 3 ou 4 semaines l’habituel déballage mensuel écœurant c’est clair le soir où ça m’a pris d’un coup la fois la seule où nous étions dans une loge que Michael Gunn lui avait filée pour voir Mme Kendal et son mari à la Gaîté un service qu’il lui avait rendu à propos d’une assurance chez Drimmie ça m’a rendue folle à lier mais je voulais pas qu’on le voie avec ce monsieur très chic à l’étage du dessus qui me fixait avec ses lorgnons et lui à l’autre bord qui me parlait de Spinoza et de son âme il est mort il y a des millions d’années je pense je souriais le plus possible en plein marécage je me penchais en avant comme si j’étais passionnée obligée de rester assise jusqu’au bout et je suis pas près d’oublier cette épouse de Scarli qui s’enfuit censée être une pièce très osée sur l’adultère ce crétin au poulailler qui sifflait la femme adultère il hurlait j’imagine qu’en sortant il s’est fait une femme dans la première ruelle en lui courant après dans tous les coins sombres pour faire l’équilibre j’aurais aimé qu’il ait eu ce que j’avais c’est alors qu’il aurait fait bouh je parie même les chattes sont mieux loties que nous est-ce qu’on a trop de sang ou quoi O pitié ça coule de moi comme une mer ce qui est sûr c’est qu’il m’a pas mise enceinte gros comme il est je veux pas foutre en l’air les draps propres que j’avais mis et merde et merde et eux qui veulent tous voir une tache dans le lit pour être sûrs qu’ils t’ont eue vierge tous ça les préoccupe bande de crétins tu pourrais être veuve ou divorcée 40 fois et une tache d’encre rouge ferait l’affaire ou du jus de cassis non c’est trop violet O si le ciel avait pu m’épargner ça pouah les douceurs du péché je sais pas qui a inventé ça pour les femmes en plus du raccommodage de la cuisine et des enfants et puis cette saloperie de lit qui fait un boucan d’enfer j’imagine qu’on pouvait nous entendre depuis l’autre côté du parc et même au delà jusqu’à ce que je suggère qu’on mette un couvrelit au sol avec l’oreiller sous mes fesses je me demande si c’est meilleur le jour je pense que ça doit être bien doucement oui je vais couper tous les poils à cet endroit ça me démange je pourrais avoir l’air d’une adolescente il pourra pas résister la prochaine fois qu’il m’aura retroussé les jupes je donnerais n’importe quoi pour voir sa tête où est passé le pot de chambre doucement j’ai toujours eu la trouille qu’il se casse sous moi après cette vieille chaisepercée je me demande si j’étais pas trop lourde sur son genou je l’avais fait asseoir exprès sur la bergère pendant que je me déshabillais mais seulement ma blouse et ma jupe d’abord dans la pièce à côté mais il était si occupé là où il aurait pas dû être qu’il m’a pas tâtée j’espère que mon haleine était bonne après ces bonbons à la menthe doucement mon dieu je me rappelle l’époque où je pouvais envoyer ça tout droit en sifflant comme un homme presque doucement O mon dieu comme je fais du bruit j’espère qu’il y a des bulles dessus j’aurais des tas d’argent de quelqu’un il faudra que je la parfume demain matin ne pas oublier je parie qu’il a jamais vu d’aussi belles cuisses que celle là regarde comme elles sont blanches l’endroit le plus doux c’est juste là au milieu ce petit coin c’est doux comme une pêche doucement mon dieu ça me déplairait pas d’être un homme et de monter sur une belle femme O seigneur t’en fais des tonnes comme le lis de jersey doucement O comme les eaux descendent sur Lahore »