La rumeur autour de la pièce et du spectacle. Les échanges. Les conversations. Hier, 22 mai à Vincennes, les points de vue de Françoise Spiess, Jean-Pierre Ryngaert, Alain Gintzburger… Animal intrigue, intéresse, énerve, passionne… Alain Gintzburger me dit qu’après avoir vu au Théâtre de la Colline une représentation d’Animal, qui l’a déconcerté, il s’est plongé dans la pièce et l’a lue d’un seul élan, avec un grand plaisir. Je pense au propos de Frédéric Fisbach sur le début et la fin d’un spectacle — propos qui a tant étonné Kouam Tawa : Le spectacle commence, dit Frédéric, le jour où tu en entends parler pour la première fois et il finit le jour où tu n’y penses plus, où il a disparu de ton existence. Wakeu Fogaing, l’interprète de Nil, avec qui je marche dans Vincennes, évoque lui la prochaine mise en scène d’Animal au Cameroun en 2006… Sont là aussi, au cœur de ce festival piloté par Françoise Spiess, Noëlle Renaude, Philippe Minyana, Robert Cantarella.

Après la première représentation d’Animal au Théâtre de Dijon-Bourgogne le 27 avril, Philippe parle de la pièce et du spectacle : « Un vrai geste artistique, des interprètes de qualité, Mathieu Montanier magnifique dans Chienne, la pièce, puissante, se déploie comme un vaste conte moral, un voyage dont on peut imaginer qu’il commence au début du monde. Je me sentais autant en Asie qu’en Afrique… ». Nous en parlons de nouveau longuement le 28 avril, dans le hall du Parvis Saint-Jean et à la terrasse d’un café. Cette conversation avec Philippe Minyana sur ce que j’écris, sur ce que nous écrivons, sur la langue, les langues au théâtre vient s’inscrire dans toute une série de dialogues, dans un vaste débat suscité par Animal : L’état dans lequel nous sommes en tant qu’êtres humains, en tant qu’africains, en tant qu’européens, en tant qu’animaux, le lien Afrique-France, la mort de l’animal, l’articulation animal/végétal/humain, le divin, le chaos… Et la langue de la pièce…

La langue de la pièce, le style de la représentation accrochent des sensations autant que des opinions, au moins dans un premier temps. Kouam Tawa, les acteurs d’Animal, Frédéric Fisbach, moi-même, avons, depuis Lausanne en février jusqu’à Rennes en mai, échangé et débattu avec des centaines de personnes (plusieurs milliers ?) dans des lieux très divers : écoles, universités, ateliers de théâtre, résidences d’africains, salles de spectacles. (Avant et après le spectacle. L’apéro de Kouam avant les représentations du Théâtre de la Colline était tous les soirs un petit événement). Comme ce fut le cas lors du débat du 5 avril au Théâtre National de la Colline, les échanges, souvent, dépliaient la question du style de la pièce et de son lien avec le présent du monde.

Une des prises de parole les plus marquantes de la soirée du 5 avril fut celle d’un monsieur qui expliqua comment cette langue « magnifiait » les langues d’Afrique. Plusieurs personnes, dont lui-même, s’indignèrent du rapprochement fait dans un article de Libération entre cette langue et le « petit nègre ». Une femme insista sur l’efficacité de cette « poétique ». Elle décrivit les phrases d’Animal comme des flèches vives, acérées, qui vous entrent dans le corps.

Curieux de constater cette ligne de séparation : il y a ceux pour qui cette langue est un « enchantement » (mot d’une illustre spectatrice), il y a ceux qu’elle rebute. Il y a aussi ceux, nombreux, qui ont eu besoin d’une période d’acclimatation, d’apprivoisement avant de se sentir dans un rapport de plaisir avec ce monde de mots, de corps, de signes. Toujours lors de ce débat du 5 avril, une spectatrice interpela Frédéric : « Ce soir, j’ai vraiment pris mon pied, je me suis éclatée, alors que la première fois — je suis revenue voir Animal — j’ai ramé. Pourquoi faut-il voir deux fois vos spectacles pour être bien dedans, pour les apprécier pleinement ? »

Finesse des échanges au théâtre National de la Colline, à Dijon, à Pau, à Rennes… Tous ces anonymes qui ont nourri notre Animal pendant ces quatre mois de représentations…

Je souligne le moment de réflexion partagé avec Philippe Minyana à Dijon parce que ce dialogue d’amitié nous l’avons commencé en 1988 et il dure, parce que c’est un dialogue vif, percutant, fougueux, excessif, stylistiquement drôle, difficile parfois. Quand Philippe exprime son effroi devant ce qu’il voit sur les scènes de théâtre, on rit et on a peur.

À Dijon un autre vieux compagnon est venu voir la bête : Jean-Marie Piemme. Et à Paris Noëlle Renaude.
Des points de vue consistants, roboratifs, que je croise aujourd’hui, dans mon journal, avec ceux d’autres écrivains, philosophes, metteurs en scène, acteurs, spécialistes qui m’ont fait part de leur perception, de Marie-José Mondzain à Christian Prigent…

2 — Vinaver. J’ai ouvert cette note en évoquant le festival de théâtre contemporain de Vincennes du 20, 21 et 22 mai 2005. Titre de la table ronde à laquelle Michel Corvin m’avait demandé de participer : Le théâtre face ou dos tourné au monde ?
Michel Vinaver à la fin de l’échange insiste sur l’édition des œuvres. Il dit : « Pour qu’une œuvre ait toutes ses chances il faut qu’elle soit éditée. On ne peut connaître à l’avance le destin d’une œuvre, on sait qu’une pièce peut disparaître pendant des décennies, et resurgir tout d’un coup. Une pièce de théâtre doit pouvoir s’inscrire dans le temps, renaître, c’est l’édition qui lui garantit cette possibilité. »