Myriam Mihindou, photographe et plasticienne, me raconte son rêve de la nuit précédente. L'évocation des ancêtres à la fin du spectacle l'a frappée au point que les esprits sont venus habiter son rêve, se sont penchés sur elle, l'ont veillée. Ensuite, elle me parle de son père auquel elle vient de rendre visite – un père prolifique : trente-trois enfants. Elle ne l'avait pas vu depuis des années. Elle dit : J'ai posé ma main sur sa main et je suis restée ainsi auprès de lui. Elle pose sa main sur ma main. Pendant une bonne minute, je sens sa main sur ma main. Cette femme sait toucher.

Je demande à Guy Lacroix de me montrer des photographies de Myriam. Il m'en montre trois dans son bureau. Sur chaque photo, une main ligaturée, lacée, sculptée. Chaque main est photographiée sur un fond rouge. Une d'elles serre une grosse pierre. Les doigts de la troisième photo sont criblées d'aiguilles. Comment toucher ? Je suis émue par ces photos-sculptures. Je voudrais en voir d'autres. Guy Lacroix m'apporte un gros livre édité par le musée Dapper : « Gabon, présence des esprits. »

« Enfant et adolescente, j'ai été témoin de rituels qui se déroulaient dans le cercle fermé du clan familial. Ils m'ont si durablement impressionnée que j'ai passé mon enfance à avoir peur d'être mutilée, peur d'être sacrifiée. De telles peurs existent toujours dans les familles, y compris dans les villes, car il y a encore des « gens » qui travaillent avec ces forces-là. » (Myriam Mihindou, in Gabon, présence des esprits, Édition Musée Dapper.)

Le titre fait écho au rêve que m'a raconté Myriam hier au soir. Dans le livre, une quinzaine de photos des œuvres de Myriam dont des images extraites d'une vidéo qui fait voir la disparition du corps, le passage du visible à l'insaisissable. Le titre de l'article qui présente Myriam et son oeuvre : Du matériau à l'immatériel.

Stéphane, un des acteurs-figures qui a participé à la représentation du 31 mars me montre des photographies de visages maquillés recouverts de marques blanches (comme dans Anatomies 2009). Ces visages sont ainsi peints lors de cérémonies inititiatiques. Sur la couverture de la revue Gabon qui vient de sortir (printemps 2009), la photo d'un visage de jeune homme peint pour une cérémonie. C'est le visage du propre fils de Stéphane. Toujours sur la couverture, le titre principal : « Esprits de la forêt. Quand les savoirs ancestraux enrichissent la vie moderne… » À l'intérieur de la revue, Gwenaëlle Dubreuil décrit dans son article des gestes d'initiation mais aussi de thérapie et des incantations aux ancêtres.

Ici à Libreville, nous avons développé la dernière partie du spectacle, celle qui justement évoque les ancêtres. Cette partie commence par le chant des acteurs du pays, se déploie à travers l'expérience physique que joue Damien entouré de trois corps masqués. « J'ai un ancêtre coincé dans la gorge », se continue par trois prières iconoclastes aux ancêtres et se termine par des visages peints en blanc, barrés d'un trait rouge, vert ou jaune.

Ici, pour la première fois, nous avons libéré les figures fantômes de leur cadre. Au fur et à mesure de la dernière prière, celle de Rudolf Ikoli (Aucarré), elles s'avancent vers le devant de la scène. La dernière image du spectacle, ce sont leurs bouches lumineuses. Il y a maintenant des choses que nous comprenons sur ce que j'ai écrit que nous ne comprenions pas encore à Brazzaville et à Saint-Brieuc en 2008. Il y en a d'autres qui, au Gabon, ont pris plus d'épaisseur et de mystère.