Guilloux

Prix Louis Guilloux. Réunion du jury. Jury : Michel Le Bris, Jean-Pierre Le Dantec, Yvon Le Men, Alain Dugrand, Bernard Plouzennec, Yannick Pelletier, Patrick Poivre d’Arvor, Claudy Lebreton (président), Roland Fichet. Cette année nous échangeons nos points de vue sur 11 romans que nous avons pré-sélectionnés : Bicentenaire de Lyonel Trouillot, L’enfant bleu de Henri Bauchau, Verre cassé de Alain Mabanckou, Existence de Éric Reinhardt, Retour à Zornhof de Gérard Oberlé, Val Paradis de Alain Jaubert, Ô Verlaine de Jean Teulé, Tuiles détachées de Jean-Christophe Bailly, L’invention de l’auteur de Jean Rouault, Origines de Amin Maalouf, L’enfant de la zone des tempêtes de Claude Herviou.

Mabanckou

Le livre de Alain Mabanckou, Verre cassé, me touche par son style et par la matière qu’il traite. Bourré jusqu’à la gueule de tragique contemporain — et de références qui sont autant de révérences — il frémit de tous ses membres, de toutes les jointures de cette phrase toujours prolongée. Alain Mabauckou use abondamment de la virgule mais ignore superbement le point. Un son africain résonne dans ce flux syntaxique, une langue indépendante de tout localisme trace sa route dans ce roman qui met en scène des rompus-par-la-vie.
Michel Le Bris prophétise : « Alain Mabanckou signe la fin d’une époque et le début d’une autre. On considérera plus tard Verre cassé comme un grand livre qui a rompu avec toute une idéologie africaine. Une nouvelle littérature naît en ce moment en Afrique, une nouvelle génération d’écrivains africains se lève : Mabanckou, Kossi Efoui, Nimrod et d’autres. Ils n’ont pas les mêmes repères ni la même vision de la littérature que ceux qui les ont précédés. Ils vont faire un malheur. »

Catastrophe

Michel Le Bris ne dit pas « ils vont faire un malheur », il dit plutôt « ils vont faire parler d’eux » ou « ils vont faire du bruit ». Je cite de mémoire. Il va faire un malheur ! Le retournement de sens qui s’est logé au cœur de l’expression : il va faire un malheur me réjouit. On trouve cette phrase à la fin de Catastrophe de Samuel Becket liée à cette autre : « On la tient notre catastrophe. » Bravo l’athlète.

M. Quelle idée ! Qu’est-ce qu’il faut entendre ! Relever la tête ! Quelle idée ! (Un temps). Bon. On la tient notre catastrophe. Refaire et je me sauve.
A. Refaire et il se sauve.
M. Stop ! Et… hop ! Formidable ! Il va faire un malheur. J’entends ça d’ici.
Samuel Becket. Catastrophe.

La catastrophe c’est le cœur de la scène, aussi bien dans une pièce de théâtre que dans un roman ?

Trouillot

Finalement c’est Lyonel Trouillot qui emporte le morceau. Nous lui décernons le prix Louis Guilloux 2005. Auteur d’Haïti, Lyonel Trouillot s’attaque à un événement récent : la célébration du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti début 2004. Célébration sanglante. Avec Lucien, le héros de l’histoire, héros qui tutoie le tragique contemporain, nous marchons tout au long d’une journée à la rencontre du peuple et de la mort, marche inéluctable. Le peuple a souvent rendez-vous avec la mort et cette mort peut avoir le visage de votre frère, comme c’est le cas dans Bicentenaire. Roman net, intense.